Histoire du Château de Beauvais
Au milieu du X siècle, Beauvais est un domaine de l’abbaye de saint julien de Tours, qui passe dans les mains de Raoul de Beauvais en 1234 seigneur de ce fief.
En 1490 ou trouve trace de Beauvais avec comme propriétaire Monsieur Pierre Lhermitte, grand panetier de France.
« Officier de la maison du roi. Il ne servait ordinairement que dans les grandes cérémonies, le premier de l’an et aux quatre bonnes fêtes de l’année, déléguant ce service aux panetiers lors des offices réguliers, ces derniers mettant la nappe, la nef de table, préparant les tranchoirs de pain et le sel ; lorsque le roi sortait de sa chambre pour aller à la messe, le sert-d’eau criait par trois fois, du haut du balcon ou du haut de l’escalier : Messire …, grand panetier de France, au couvert pour le roi ».
En 1501 Monsieur François Miron, médecin du roi charles VIII possède Beauvais.
Succession à son fils Gabriel Miron médecin de Louis XII et de François 1er, chancelier d’Anne de Bretagne et de la reine Claude.
En 1591 Succession à Monsieur César Forget par alliance seigneur de Baudry et de Beauvais, trésorier de France.
Succession à son fils Pierre Forget, conseiller du roi qui laisse Beauvais à sa veuve Céleste de Maillé en 1638, remariée par la suite à daniel de Marsay puis dans une succession fort embrouillée amène à la vente aux enchères de Beauvais.
En 1666 René Laillier achète Beauvais. Marchand Bourgeois, échevin « Un échevin était, en France au Moyen ge, un magistrat, nommé par le seigneur pour rendre la justice sur ses terres. » Prevost de la monnaie de Tours « Le prévôt était au Moyen ge l’intendant d’un domaine seigneurial et avait pour rôle d’administrer, de juger et de percevoir les taxes ».
Beauvais est légué à sa seconde fille Anne Laillier qui le lègue à son fils Jacques Belot en 1745.
La liste des héritiers de jacques Belot étant longue Beauvais fut vendu par adjudication le 18 janvier 1765 pour 51000 livres à Denis Louis Aubry inspecteur général des manufactures et pépinières royales de mûriers blancs de la généralité de Tours «culture du ver à soie »
Le château comporte un corps du bâtiment principal construit à neuf.
Denos Louis Aubry décède le 14 Août 1781 il faut attendre le 7 Mars 1786 pour la liquidation de la succession qui se termine par la vente de Beauvais aux enchères.
Le 3 février 1791 Clément de Ris, remporte l’enchère pour un montant de 127 030 livres.
Acquisition le 21-4-1853 par Emile Gary au prix de 98000 francs qui procède à des travaux d’embellissement.
Création des tours cylindriques façade nord côté parc, couronnées de faux mâchicoulis et coiffées de haute poivrière d’ardoise et percées de fenêtres à linteau formant arcature.
Création des 2 tourelles en encorbellement au droit des angles rentrant de la cour intérieure. Mise en œuvre des lucarnes à galbe aigu, pinacles et croisées de pierre.
Création des corniches et corbeaux sculptés. Le tout formant un parfait pastiche néo-gothique.
A l’intérieur création d’un escalier à rampe droite en pierre.
Le projet de parc est redessiné par E André architecte de jardin en 1869.
Il n’y a pas de trace de la date de construction de la ruine au droit du plan d’eau.
1890 Monsieur Berenger hérite de sa tante Madame Gary, et poursuite les travaux en agrandissant l’aile ouest par l’architecte Marcel ROHARD à partir de 1893 par le remaniement du pignon avec les sculptures qui marque le style « troubadour » avec la tour étroite polygonale et son horloge.
Beauvais a été transmis ensuite par à leur fille Anne Mari Emile Charlotte Bérenger qui épousa Monsieur Gaston Le Provost de Launay. Ce dernier en hérita à la mort de sa femme le 20 Mars 1931.
Au moment de la débâcle de 1940, le château fut attribué comme résidence à Charles de Gaulle alors sous secrétaire d’état à la défense « au cours de la journée du 12 juin j’y travaillai avec le général Colson au plan de transport en Afrique du nord ». Le 13 juin il partit pour Tours où devait se tenir une réunion à la préfecture avec Winston Churchill. Le lendemain, l’ordre de repli ayant été donné aux membres du gouvernement « je fis mes adieux à mes hôtes Le Provost de Launay ».
Le 18 octobre 1950 Monsieur Le Provost de Launay vendit Beauvais aux 4 frères et sœur de Lovinfosse le tout en indivision. Le 5 décembre 1987 Luc de Lovinfosse ayant mis fin à celle ci est resté le seul propriétaire.
Victime de la restauration du XIX le bâtiment n’est pas inscrit ni classé aux monuments historiques.
Zoom sur le sénateur Clément de Ris
Propriétaire du château de Beauvais en 1791
« Le complot contre Bonaparte »
Le 3 février 1791 Clément de Ris achète le château de Beauvais
En mai 1800, la Nation commence à sortir du chaos dans lequel le directoire l’avait plongée. Mais la situation n’est pas pour autant réglée : l’Ouest est toujours en proie à des troubles, malgré la soumission des troupes royalistes, et le sud assiste à la reconquête de l’Italie par les armées autrichiennes.
Le 6 mai 1800, à 2 heures du matin, Napoléon Bonaparte emmène son armée de réserve via la Franche-Comté et la Suisse vers l’Italie.
À la veille de la bataille de Marengo, bien mal engagée pour les armées de Bonaparte, Joseph Fouché, ministre de la Police de l’époque et futur duc d’Otrante, avait cru pouvoir conspirer pour son propre compte contre Napoléon.
Dans les prévisions d’une défaite annoncée, il s’était entouré de législateurs et d’hommes de police qui devaient avec lui se partager l’héritage de Bonaparte vaincu.
Les noms de Bernadotte et Talleyrand furent évoqués comme faisant partie des comploteurs.
Le sénateur Clément de Ris, décrit par Jacques Crétineau-Joly dans son ouvrage Histoire de la Vendée militaire comme un homme « de nature inoffensive et talent sans éclat », s’était vu par Fouché, promettre la troisième place dans la nouvelle République. Une longue correspondance s’était engagée entre le ministre et le sénateur, si bien que de nombreux papiers qui compromettaient gravement Fouché aux yeux du Premier Consul se trouvaient en la possession de Clément de Ris.
À la suite d’une victoire inespérée de Napoléon à la bataille de Marengo le 24 juin 1800, Fouché dut renoncer à son projet de conspiration. Une lettre écrite le jour même par Lucien Bonaparte à son frère Joseph résume bien la situation :
« La nouvelle de Marengo a consterné tous les intrigants(…) quant à nous, si la victoire avait marqué la fin du Premier Consul à Marengo, à l’heure où je vous écris, nous serions tous proscrits. »
Informé de cette tentative de renversement contre sa personne, Napoléon à son retour à Paris le 2 juillet 1800, somma Fouché de lui fournir la liste des conjurés.
L’enlèvement du sénateur Clément de Ris
Inquiet de voir son nom figurer dans les archives de l’un de ceux-ci, Fouché fit, le 23 septembre 1800, enlever le sénateur Clément de Ris dans son château de Beauvais par l’un de ses agents secret, Gondé. À 17 heures, six hommes armées pénètrent dans le château, saisissent le sénateur et s’emparent des documents compromettants qu’il lui avait confiés, entre autres des affiches d’une proclamation pour un changement de gouvernement et de nombreuses lettres, qu’ils détruiront aussitôt.
Une libération mystérieuse
Loin d’apaiser le courroux de Napoléon, soucieux de l’ordre intérieur, cet épisode attisa sa colère au point que le ministre dut organiser une libération fictive de Clément de Ris par ses agents lors d’un transfert en forêt.
Selon les rapports d’enquête de l’époque, on cite le nom de monsieur de Bourmont, chef d’insurgés, qui aurait promis de réussir les recherches si on lui confiait la tâche de délivrer le sénateur Clément de Ris. Il s’entoura pour cette mission de quatre autres chefs d’insurgés, Arthur Guillot de la Potherie, Carlos Sourdat, Salabéry et Robert Coutaud.
Le rapport de police poursuit :
« Dans cette même nuit du 18 au 19, un particulier monté à cheval arrive à la ferme du Portail et cause environ une demi heure avec le brigand gardien. Celui-ci fait sortir le sénateur Clément de Ris de son cachot et le fait monter à cheval. Le fermier sert encore de guide : il conduit le sénateur, le brigand gardien et l’inconnu dans la forêt de Loches. On s’arrête environ un quart d’heure à la Pyramide des Chartreux. Trois ou quatre personnes à cheval arrivent parlent à voix basse à l’inconnu et au brigand gardien et se retirent ensuite derrière eux. Le guide, le sénateur, le brigand gardien et l’inconnu continuent leur route. Après un quart d’heure de marche, quatre particuliers viennent à course de cheval derrière les voyageurs tirent un coup de pistolet par dessus la tête du sénateur Clément de Ris. Aussitôt, l’escorte disparaît; on enlève au sénateur le bandeau qui lui couvrait les yeux et les libérateurs qui l’environnent sont Carlos Sourdat, Robert Coutaud et Salabéry. Avec eux était Guillot de la Potherie. »
Des coupables tout trouvés
Il fallait impérativement un coupable et Fouché, se souvenant de l’existence d’Auguste de Canchy et Jean de Mauduison qu’un différend personnel avait dressés contre lui et dont le passé de chouan était un excellent prétexte, les fit arrêter.
Le différend entre Fouché et les deux amis : Canchy et Mauduison
Au 3 de la rue du Paty à Nogent-le-Rotrou, à l’auberge de l’Épée royale, deux amis discutent : le comte de Mauduison, décrit comme « un bel et insouciant adolescent au teint mat » et le marquis de Canchy, « plus grand, plus âgé et plus fougueux que son camarade ».
Le second reproche au premier d’avoir jeté son dévolu sur Rolande, la fille de maître Benoît, l’aubergiste. La conversation se poursuit entre les deux jeunes gens et Canchy s’écrie « Vive le Roi », ce à quoi Mauduison lui répond « Vive l’amour ». C’est à ce moment qu’entre un voyageur qui commande un verre de vin. Il conseille à l’aubergiste de changer le nom de son enseigne (l’Épée royale) mais celui-ci ne lui répond pas et salue imprudemment Canchy de son titre de marquis.
Le client obtient de Rolande le nom des deux jeunes gens et propose à cette dernière une cocarde qui doit « la rendre plus mignonne aux yeux de son amoureux ». Il tente d’accrocher lui-même la cocarde sur la poitrine de Rolande et, la saisissant par la taille, l’embrasse à pleine bouche. Celle-ci se défend et traite l’homme d’insolent alors que Canchy et Mauduison bondissent sur le client et le jettent dehors après l’avoir rossé.
Cet homme qui quitte la ville de Nogent-le-Rotrou peu après cet incident s’appelle Joseph Fouché.
L’arrestation de Canchy et Mauduison
Le 30 nivôse 1801 (mardi 20 janvier 1801), Monsieur de Mauduison donne une fête dans son hôtel particulier du 89 rue Dorée (aujourd’hui rue du Gouverneur, qui prolonge la rue du Paty) à Nogent-le-Rotrou pour le baptême du fils d’Auguste du Moustier de Canchy, son gendre, le petit Jean Charles Adolphe âgé d’un an.
En effet, le jeune marquis de Canchy avait épousé en vendémiaire (septembre) 1799 la fille du comte de Mauduison, Victoire, sœur de son ami, âgée seulement de 17 ans.
La cérémonie s’est déroulée à Notre-Dame et au retour du cortège, le commissaire de police Boulardière sollicite un entretien avec le marquis du Moustier de Canchy et son beau-frère.
Le commissaire Boulardière était un ancien garde française et avait eu, à l’époque, pour officier le père du Comte. Il estime beaucoup le fils et lui conseille de fuir. Comme les deux jeunes gens s’étonnent, il leur répond en ses termes :
« Fuyez ! Vous êtes inculpés de l’enlèvement et de la séquestration du sénateur Clément de Ris ainsi que du vol commis chez lui. »
Canchy et Mauduison s’esclaffent et refusent de fuir :
Canchy : « Si ce n’est que cela, je suis pleinement rassuré. »
Mauduison : « Nous sommes innocent, nous ne bougerons pas d’ici ! »
Le commissaire Boulardière se représente au dessert pour procéder, malgré lui, à la double arrestation.
Les deux jeunes sont conduits et incarcérés à la prison de la ville, le château de Saint-Jean, avant d’être emmenés le lendemain à Chartres.
L’arrestation de Gaudin
Le préfet du Calvados prévint son ministre de la Police, Fouché, qu’il venait de procéder à l’arrestation d’un ex-insurgé, pour vol de diligences : Etienne Gaudin. Fouché lui demanda en ces termes :
« Est-il borgne ? Si oui, envoyez-le-moi; si non, retenez-le pour le faire juger des délits dont il s’est rendu coupable. »
Il fallait un borgne dans la liste des prévenus car le gardien qui avait veillé sur le sénateur Clément de Ris pendant dix-huit jours était borgne.
La liste des prévenus
Les procès-verbaux de l’époque relatent l’enquête et l’arrestation de la manière suivante :
“Les recherches des autorités constituées, chargées de surveiller la tranquillité publique ont entraîné l’arrestation des détenus qui sont actuellement en jugement, à savoir :
- Étienne Gaudin, dit Montauciel, ex major d’insurgés né commune de Barenton dans la Manche, âgé de 28 ans,
- Jean David Charles Mauduison, ex capitaine d’insurgés, né à Préval dans la Sarthe et demeurant à Nogent-le-Rotrou, âgé de 20 ans,
- Auguste Émilie Nicolas Du Moustier de Canchy, propriétaire, né et demeurant à Chartres, âgé de 28 ans,
- Pierre Lemesnager, ex capitaine d’insurgés officier de santé, conscrit à Blois,
- Jean Pierre Aubereau ex capitaine d’insurgés prévenu d’émigration, né à Orléans sans domicile fixe,
- Armand Emmanuel Desmaretz Baurain, dit Charles Marie Leclerc, prévenu d’émigration né à Bazas Gironde,
- René Louis Lacroix, propriétaire né à Luzilé (I et L) et demeurant à Loches, âgé de 33 ans,
- Sa femme, née Marie Françoise Adélaïde Deroullin, âgée de 28 ans,
- Jourgeon et sa femme, fermiers du lieu du Portail.”
Les six premiers prévenus étaient accusés de l’enlèvement proprement dit et des crimes de vol et de violence qui s’y rattachaient.
Les quatre autres prévenus étaient accusés d’avoir « aidé à l’accomplissement de l’attentat en fournissant une retraite pour la séquestration de Clément de Ris et en favorisant par certaines démarches la prolongation de cette détention ».
Un procès truqué
Après l’ouverture des débats à Tours et plusieurs audiences, le tribunal décida, avant de statuer sur le sort des accusés, d’ordonner le 4 thermidor 1801 (23 juillet) que les accusés soient transférés à Paris pour y être, en présence du président du tribunal criminel de la Seine, confrontés avec Clément de Ris sa femme et son fils. Mais, se protégeant par son statut d’ambassadeur, Clément de Ris refusa la confrontation. Devant un vice de forme, le tribunal de Cassation, par jugement du 7 fructidor suivant (25 août), annula cette décision ainsi que les débats au cours desquels elle avait été rendue et renvoya l’affaire devant le tribunal spécial de Maine-et-Loire.
Le tribunal spécial de Maine-et-Loire
Le tribunal spécial statuait sans juré. Il se composait de huit membres en plus du commissaire du gouvernement, Monsieur Gazeau et d’un greffier, Guibert Audio:
- Le président, Pierre-Marie Delaunay,
- Ses deux adjoints, deux juges du tribunal criminel ordinaire : monsieur Boulet et monsieur Baranger,
- Trois militaires ayant le grade de capitaine : monsieur Belville, capitaine de gendarmerie, monsieur Carelte capitaine de vétérans nationaux et Pierre François Viriot, capitaine adjoint à l’état-major de la 22e division,
- Deux citoyens ayant les qualités requises pour être juges : monsieur Gastineau, suppléant au tribunal civil et monsieur Gaudais, homme de loi.
La défense était représentée par :
- Maître Blain, de Tours, défendait Gaudin et Aubereau,
- Maître Pardessus, de Blois, défendait Lemesnager et les époux Jourgeon,
- Maître Chauveau-Lagarde défendait Mauduisson et Canchy,
- Maître Callaud de Tours (les 5 premières séances), puis maître Duboys d’Angers, défendaient les époux Lacroix.
Le procès débute le 1er brumaire an 10 à 10 heures (23 octobre 1801)
Dès la lecture des chefs d’accusation, le président Delaunay donne à ce procès un caractère politico-crapuleux en désignant les royaliste comme instigateurs de l’enlèvement :
« Le projet d’enlever le citoyen Clément de Ris & de le mettre à contribution était conçu depuis longtemps; attaché au gouvernement républicain, acquéreur de biens nationaux produisant 1100 francs de revenus & membre de l’une des premières autorités, il devait fixer l’attention des sicaires soudoyés par les partisans de la royauté; aussi était il inscrit honorablement sur leurs tables de proscription, comme les premiers magistrats du peuple Français, les fonctionnaires publics & les acquéreurs des domaines nationaux. »
Devant l’intérêt du public et la gravité des faits reprochés, les autorités durent prendre des mesures de sécurité exceptionnelles comme le relatent en ces termes les écrits de l’époque :
« De son côté, l’autorité militaire avait pris des mesures pour le moins imposantes. Non seulement un corps de cavaliers stationnait sur la place du Palais, mais si nous en croyons les souvenirs de témoins oculaires, cinquante hommes de troupe se trouvaient dans la salle et chaque accusé avait derrière lui un gendarme le sabre à la main. »
Très vite, Canchy, Mauduison et Gaudin sont désignés comme les principaux instigateurs et sont présentés comme « les chefs des brigands du 1er vendémiaire ».
Des observateurs de l’époque décrivent les trois principaux accusés :
“Gaudin paraît aux débats avec un des yeux couvert de taffetas noir et plusieurs témoins le désignent comme borgne ou ayant un œil immobile et appuient sur ce point la certitude de leur observation.
(…) Mauduison est signalé comme, ayant commune d’Azay, tiré un coup de pistolet sur Gouppy qui courait après son cheval volé. Il est reconnu de plus comme celui qui au moment de l’enlèvement veillait à la porte sud du château.
Canchy, que les témoins signalent par sa belle figure et ses favoris rouges, et nomment parfois le gros bel homme, est représenté comme ayant été le guide et l’acteur le plus zélé de l’entreprise.”
Tous trois nient être allés à Tours et ce, malgré des témoignages aussi farfelus qu’accablants qui les décrivent armés de sabres, faisant irruption par une fenêtre dans les appartements du Sénateur Clément de Ris et le forçant à monter dans une voiture. Mais tous ces témoignages ne se corroborent pas et sont même très souvent contradictoires. La victime elle-même déclara seulement qu’il « était assis près de sa femme malade quand il se vit menacé du pistolet par un brigand qui lui parut avoir trente ans environ » Pire, plusieurs témoins affirment avoir vu au moment du crime, les accusés « dans des lieux assez éloignés », leur fournissant ainsi des alibis plus que solides.
Une fin de procès qui s’oriente vers un non-lieu
Dans une admirable plaidoirie, maître Chauveau-Lagarde dépeint son client Canchy comme un homme « jeune doux myope sourd n’ayant jamais été ni émigré ni chouan » et son beau-frère Mauduison « plus jeune encore et un moment seulement, égaré dans l’insurrection, goûtant à l’heure où le crime se commettait, les joies causées par plusieurs noces célébrées dans sa famille. »
Les autres avocats dans leurs réquisitoires, relèvent un par un les incohérences du dossiers à l’exemple de maître Duboys qui ouvrit contre l’accusation, en renouvelant à chaque phrase ce mot « pourquoi », un véritable feu de réponses démontant un à un chaque argument de l’accusation. L’innocence des accusés semblait maintenant une certitude. Les prévenus et le public lui-même étaient persuadés d’un prochain acquittement, tant même que Canchy avait, le jour du jugement, demandé à sa femme de lui acheter des gants et lui avait passé commande pour son repas du soir.
La sentence : condamnation à mort pour trois des accusés
Voyant faiblir la conviction de ses accesseurs, le président Delaunay réunit la cour lors d’un déjeuner. À la fin du repas, il reprit les arguments de Fouché et annonça à ses convives « qu’il serait d’un exemple regrettable et dangereux au premier chef de prononcer l’acquittement en masse d’un si grand nombre de chouans et d’ennemis du gouvernement ; que, s’ils n’étaient pas positivement reconnus coupables, ils n’en avaient pas moins cent fois mérité la mort dans d’autres circonstances. »
Le 2 novembre 1801, à seize heures, un arrêt de mort frappait trois des accusés : Canchy, Gaudin et Mauduison.
Une peine de six années de de détention et l’exposition sur une des places publiques d’Angers pendant quatre heures est requise contre les époux Lacroix.
Les cinq autres accusés furent acquittés.
L’article 29 de la loi du 18 pluviôse était formel : le débat étant terminé le tribunal jugera le fond en dernier ressort et sans recours en cassation.
Une sentence qui scandalise, au sein même du tribunal : l’intervention du capitaine Viriot
Le chroniqueur Lenôtre raconte dans Vieilles maisons, vieux papiers les déboires de l’un des membres du tribunal, le capitaine Viriot, choisi pourtant pour son patriotisme et sa haine des chouans, qui, se rendant compte de l’innocence des accusés, décida de relater les pressions auxquelles ce tribunal avait été soumis et de réhabiliter la mémoire des innocents qu’il avait envoyé à l’échafaud.
Germain Sarrut, dans Histoire de France de 1792 à 184912 relate cet évènement :
“Le tribunal persista dans sa détermination et le jugement qui condamnait à mort MM Canchy Mauduison et Gaudin fut prononcé. Aussitôt M Viriot protesta hautement déclara n’avoir point signé la sentence qui dès lors se trouvait légalement frappée de nullité et s’échauffant dans sa lutte avec le président Delaunay qui tentait de couvrir sa voix, il qualifia de bourreaux les juges qui avaient signé cette horrible condamnation et qui livraient ainsi des innocents à d’autres bourreaux.
« Votre innocence m’est connue » dit-il aux accusés « je le jure sur l’honneur vous êtes innocents et je ne souillerai pas mon nom en signant l’arrêt qui ordonne votre assassinat. Je vole à Paris ma chaise de poste est prête je plaiderai votre cause devant le gouvernement et si je suis votre avocat, je serai l’accusateur des tigres qui vous égorgent qui viennent dans une orgie à laquelle je n’ai point eu la honte d’assister de signer votre arrêt de mort je leur ai nommé les coupables; j’ai donné des preuves que ceux que je désignais étaient tels. »”
Viriot se précipita prévenir madame de Canchy et se rendit immédiatement à Paris afin de contacter les généraux Lefebvre et Mortier. Ceux-ci s’avouèrent incapables d’intervenir. Il fut reçu par Joséphine de Beauharnais qui ne put que lui prodiguer qu’encouragements et bonnes paroles.
L’attitude de Viriot fit scandale et provoqua l’intervention de Berthier, ministre de la Guerre qui dans son rapport aux Consuls précise que « Viriot (…) avait tellement persuadé aux familles des accusés et à leurs défenseurs qu’ils seraient acquittés que ceux-ci se réjouissaient à un dîner quand ils apprirent la condamnation. Ce fut cette croyance qui sauva la ville (ndlr: Anger) des tentations d’insurrection. »
Il sera mis à la retraite aussitôt par son ministre de la Police… le ministre Fouché. Cette affaire, qui le poursuivra sa vie durant sera pour lui un échec et entravera sa vie personnelle et professionnelle pendant plus de trente ans.
Le procès des Canchy
Le matin du 3 novembre 1801, les préparatifs de l’exécution débutèrent sur le Champ de Mars à Angers. On savait que le peuple était favorable aux condamnés et il courait même le bruit d’une tentative d’évasion organisée par les ouvriers des carrières voisines d’Angers.
Il faut dire qu’à ce moment-là, le nom de Canchy était répété par tous : la physionomie et le langage de cet accusé avaient tellement intéressé l’auditoire que bien des gens ne nommaient pas cette affaire autrement que le procès des Canchy.
Émile Souvestre dans La Mosaïque de l’Ouest écrivit :
« On devine qu’en présence d’une pareille disposition des esprits les mesures militaires durent être moins épargnées que jamais. Une forte escorte assura le court trajet de la prison, alors rue Saint-Étienne, à l’échafaud; encore prit-on soin de faire passer par des rues détournées, et non par la place des Halles, le cortège marquant avec fifres et tambours le pas que suivaient d’un air résolu les trois condamnés. »
À onze heures, le couperet tombe, laissant à la population indignée le sentiment que les condamnés avaient été non punis mais sacrifiés.
Auguste Aimé Nicolas de Canchy et Victoire de Mauduison
Auguste de Canchy avait vingt-huit ans au moment de monter à l’échafaud. Sa femme, Victoire de Mauduison (1782-1863) venait de mettre au monde un fils, né un an auparavant, Jean Charles Adolphe de Canchy (1800-1879). Elle demeurait non loin du tribunal et dès le verdict prononcé, elle fut informée du sort réservé à son mari et à son frère. Lorsque Chauveau-Lagarde se présenta à son domicile, elle avait saisi un pistolet pour mettre fin à sa vie. L’avocat l’en empêchera et la conduisit au Mans dans sa famille.
Avec l’aide du capitaine Viriot, elle tente, mais en vain, de faire jouer toutes ses relations pour sauver son mari, en particulier auprès de Joséphine de Beauharnais, femme du Premier consul Bonaparte, qu’une lointaine parenté liait aux Mauduison.
Cela ne suffit pas à sauver le condamné. Seule subsiste une bague à poisons que remit Joséphine à sa cousine qui ne put malheureusement pas la faire parvenir à son époux.
La veuve de Canchy épousera en seconde noce Armand Lesage du Mesnil-Hurel (1765-1840), brigadier aux gendarmes rouges de la Maison du roi Louis XVIII.